I. Qui veut le plus, ne peut que le moins
Nous avons l'image des États-Unis : efficaces, super modernes, à la pointe de la technique, libérés des contingences paperassières par leur libéralisme économique et dictant au monde ses prochaines innovations, modes vestimentaires etc.
Bien sûr il y a aussi la réalité de l'ultra violence, racisme, impérialisme etc...
Si
la seconde est une réalité donc, la première est une illusion.
Pour y avoir été élevé et y avoir travaillé souvent pendant quarante ans, la réalité quotidienne des États-Unis est celle d'un pays lent, aux habitudes de travail molles et incroyablement régulières, y compris pour les cadres.
C'est la fatigue qui domine ce pays, une espèce de fatalité sur les épaules, une soumission sans question, triste.
On commence à 9 heures, on finit à 17 avec une pause déjeuner d'une demie heure, et à 17:00 on n'est plus là.
Ça se traîne dans les couloirs, on fait ce qui est écrit dans le manuel, le règlement, rien de plus. Y compris du côté des cadres censés être "créatifs", décisionnaires. On suit des procédures et la créativité est chez les gens qui fabriquent ces procédures. Artistes de la conformité.
L'administration est galopante, largement pire que ce qu'on reproche à la France. Du papier, physique, des précautions administratives qui se chevauchent : un cauchemar à la Courteline.
En bons libéraux, ils ont multiplié les agences en charge des services publics, si bien que tous sont en concurrence, privés ou publics. La sécurité par exemple compte un chevauchement de centaines de formes policières, du local au fédéral, rendant impossible l'administration du droit et de la justice (avec une réponse unique du coup qui est la prison pour les pauvres et la négo pour les riches).
Et face à ça une infrastructure en lambeaux, surtout dans les quartiers populaires. Des routes qui n'ont rien à envier à certains pays du tiers monde, fissurées, avec des revêtements en béton sensibles au climat. Électricité, drainage, canalisations, tout est d'un autre âge, avec des normes qui feraient pâlir de frayeur un ingénieur européen.
Digues, fronts de mer, irrigation, tout est obsolète, dangereux (cf la rupture des digues à la nouvelle Orléans pendant l'ouragan Katrina, vieilles de plus de 150 ans et dont les plans étaient perdus depuis longtemps).
La réponse à toute question d'ingénierie est : plus de béton, de ferraille. Les éléments d'infrastructure ou de construction n'en sont pas plus solides, ils en sont plus gros, plus lourds, plus cassants.
Et la réponse aux problèmes une fois qu'ils surviennent c'est : je suis désolé. En bons protestants. La faute est minimisée, voire remise, si on s'excuse. Peu importe les morts et le dommage.
C'est aussi à la lumière de ces raisons qu'il faut observer non seulement leur déclin, mais aussi leur défaites militaires et diplomatiques systématiques.
Non seulement ils n'ont aucune compréhension du monde en dehors de leur contexte, mais leur organisation est d'une inefficacité totale, fatale même. Exemple s'il en fallait qu'on ne peut pas gérer une société comme on gère une entreprise (elles aussi inefficaces).
Aujourd'hui à Los Angeles, ce sont des avions canadiens (les fameux Canadair qui viennent vraiment du Canada) qui viennent éteindre les feux.
Si les États-Unis dans leur délire trumpien annexaient le Canada, ils garantiraient leur incapacité à éteindre leur Grand Feu.
Leur réponse aux problèmes : plus.
Plus de conquête, de répression, de flingues, de béton, de fric. Plus de la même chose. Mal à la tête : plus d'aspirine.
Chercher les causes est impossible pour cette civilisation qui a fait de l'intelligence et du raisonnement une impossibilité, en détruisant notamment la langue anglaise, la transformant en une considération gestionnaire au lieu qu'elle soit une assurance de culture et un outil pour réfléchir et créer.
C'est uniquement par la force (plus, toujours plus) qu'ils imposent encore leur loi à leurs inféodé-es (dont nous sommes), ceux-ci attendant leur chute finale pour se placer sous de nouveaux maîtres ou s'engouffrer dans le chaos.
Comment ne pas voir, depuis plusieurs années déjà, ces grands feux comme la métaphore du monde ? Les États-Unis, ce pays qui n'a même pas de nom, mais une appellation administrative, est un symbole, soit. Mais il est aussi la mise en place concrète du capitalisme délirant et sa réalisation dans les faits.
Plus il brûlera, plus il imposera par la force son modèle au reste du monde.
A ce titre déjà de champion du capitalisme, et de capitalisme-réellement-existant, il devrait être abattu, combattu, repoussé, enseigné comme néfaste.
Et je ne parle pas des flingues, racisme, génocide...
S'extraire du capitalisme c'est aussi extraire de nous-mêmes ce qui est américanisé : nos habitudes, réflexes, les mots et infections langagières, rapport au monde, produits, vêtements.
Empire, emprise, empreinte.
II. Aux pauvres, le capitalisme reconnaissant
Je
peux me tromper, mais j'ai l'impression que la vision que nous avons
des incendies de Los Angeles est qu'une ville riche brûle.
L'image
véhiculée par les séries yanquies gomme la réalité. Qu'il y fasse
généralement beau, ciel bleu, et palmiers, comme dans le Sud-est
français un peu, fait passer au deuxième plan le décor. Il y a davantage
de motels pourris, de quartiers défoncés, déglingués, dangereux, que
d'hôtels de luxe et de villas de 400m². L.A. c'est 90km de large sur 100km
de long. L'urbanisme étasunien étant ce qu'il est - orthogonal,
ingénierie médiocre, routes lézardées, infrastructure antique - il est
plus de pauvres à Los Angeles que de stars du cinéma.
Ce
sont donc les pauvres, les classes ouvrières, et les hors-classes, à
70% d'origine mexicaine, plus ou moins en situation légale qui ont tout
perdu.
Il y a la première ligne
de maisons de Malibu, le quartier de Burbank, certains coins de Palm
Springs, quelques "blocks" de Pacific Palisades qui sont bobos,
artistes, ou des quartiers ultra riches. Derrière les "Palisades", c'est
l'Amérique des pauvres. Eux ils ont tout perdu, évidemment.
Je
lis ici et là qu'il s'agit d'un dérèglement climatique "de classe".
Mouais. Au-delà du confortable cynisme, et du marxisme hâtif de la formule,
elle dit mal que le dérèglement climatique, s'il est un phénomène lié
entièrement au capitalisme et son système, a d'abord pour victimes le
lumpenproletariat au Bengladesh sous l'eau, les malades de la
phytochimie agricole, du plastique, des perturbateurs endocriniens du
monde entier, les familles déplacées par le climat et sa misère et qui
vivent sous les ponts autant à LA qu'à Mumbai, ou à la Gare
d'Austerlitz.
Mais Los Angeles, ça n'est pas un
drame de riches. Les riches ont sauvé leurs petits chiens et leurs
voitures de luxe. C'est un drame de pauvres. Largement.
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