Tous les soirs une oeuvre : auteur-es décoloniaux

 



 
Tous les soirs une œuvre. 
 
Ce soir des auteur-es aux prises avec la colonisation et son train - racisme, meurtre, spoliation.
Alors il s'agit, de prendre refuge/fuir, dans la langue aussi, dans le langage, même celui du maître, pour le tordre, et l'habiter autrement. Parce que même si, comme le dit Audre Lorde, "les outils du maître n'abattront pas la maison du maître", ils peuvent, doivent, être détournés. Parce que le langage, surtout s'il est repris "est peut-être la mesure de nos vies" (Toni Morrison).
 
Peu de choses de Kanaky, à part Déwé Gorodey, parce que c'est l'oralité qui prime parce que la Parole oblige à la vérité. A ce titre, écrire est toujours un risque.
 
J'ai un faible très fort pour Lyonel Trouillot d'Haïti, et puis aussi pour les auteur-es étasunien-nes que je lisais pendant ma jeunesse étasunienne : Langston Hughes, Ishmael Reed, Amiri Baraka (Leroi Jones), et évidemment James Baldwin que j'avais dévoré jusqu'à mes vingt ans. 
 
L'artiste (autrice, journaliste...) et amie Maya Mihindou (ici, et ici) m'a appris cette filiation entre refuge et fuir. Se réfugier c'est (peut-être) redoubler de fuite : re-fuguer. Le moins qu'on puisse dire c'est que le refuge ici se fait au même péril que sous le régime de saccage colonial. En se repliant en France, les Français ont enrichi de rancœur l'orgueil qui les avait fait subjuguer Antilles, Océanies, Afriques... Alors fuir ici pour celui-celle qui quitte son pays toujours et encore exploité par nous, c'est au moins se leurrer deux fois sur les bonnes dispositions du "pays d'accueil". Ici on n'accueille pas, on aspire et on recrache.
 
C'est Dénetem Tuam Bona qui parle très bien du marronnage. 
 
Cimarron c'est de l'espagnol pour désigner l'homme des cimes (cima). Celui qui s'est enfui et qui parcourt les mornes avant de descendre aux ravines. Il fuit aux lianes, il se tapit dans l'impénétrable mangrove. Son monde est chablis, abattis discret, intimité avec la forêt. Et puis un jour ce sont des flux de marrons qui s'assemblent et forment un Palenque, un Quilombo, ces communautés autonomes se réinventant d'un peu de Wayana, de Taïnos, et autres amérindiens et d'Afrique(s), comme la Tortuga pirate, mais au milieu de la forêt.
 
Il y a lyannaj. Ensemble, liés comme par des lianes. 
 
En se repliant en France, les Français ont bardé de rancœur l'orgueil qui les avait fait subjuguer Antilles, Océanies, Afriques... Alors fuir ici, pour celui-celle qui quitte son pays toujours et encore exploité par nous, c'est au moins se leurrer deux fois sur les bonnes dispositions du "pays d'accueil". Ici on n'accueille pas, on aspire et on recrache.
 
A ce titre, une moderne fable sur le gigantisme urbain, et l'aspiration à une terre retrouvée, positionnée dans des Antilles du futur : Tè Mawon, par Michael Roch. 
 
Un tour de force de la langue et de l'histoire. Un roman de science fiction qui est avant tout de la littérature, il faut le noter. Avant tout de la politique. Et avant tout l'expression d'une langueur pour un temps où peut-être nous étions guérissables par la parole, le rite, la nature, la Parole. Les "feuilles" diraient les haïtiens fey-o.
 
Les personnages sont autant de manières d'être créole, marron, métissé ou d'être aliéné, et qui passent par toutes les teintes des situations pour s'émanciper, se guérir aussi. Que serait un monde où les Caraïbes à leur tour, de la Floride au Vénézuela se seraient livrées à la folie urbanistique, au déclassement des uns et à la "pwofitasyon" des autres ? Et que serait une libération au moyen de la redécouverte, sous les couches de béton du Tout-monde (celui d'Edouard Glissant) ? Magnifique.
 
KAROO | Tè Mawon de Michael Roch
 
Alors il s'agit, de prendre refuge/fuir dans la langue aussi, dans le langage, même celui du maître, pour le tordre, et l'habiter autrement. Parce que même si, comme le dit Audre Lorde, "les outils du maître n'abattront jamais la maison du maître", ils peuvent, doivent, être détournés. Parce que le langage, surtout s'il est repris "est peut-être la mesure de nos vies" (Toni Morrison).
 
La littérature maghrébine de regard sur la France est à ce titre indispensable. Mehdi Chérif, Kateb Yacine.
J'en oublie : plein d'auteurs-trices. Vous remplirez les trous. Ce qui me frappe, au moins chez les écrivain-es francophones dé-coloniaux, c'est l'exploration d'une langue neuve, ouverte et triplement, quadruplement enrichie, kreyolisée, suffixée, affixée, préfixée, défixée, désarrimée de la langue qu'on veut à l'Académie, puis ballottée dans tous les sens, où l'on retrouve sûrement un jaillissement tropical - parce que la vie foisonne sous ces latitudes - mais aussi une expérimentation, une exploration qui permet, à force de jointurer des tournures inconnues jusque là, d'ouvrir au nouveau. C’est à dire, à force de refondre les outils du maître et de les employer ailleurs et autrement, de créer les conditions de la destruction de la maison du maître, et la construction d'autre chose. 
 
Nota : je n'ai pas mis Lafférière, de l'Académie française.
 
Quatre auteur-es amérindiens (nord) s'y ajoutent, James Welch (Winter in the blood), John Trudell (immense faible pour ce poète, activiste, porte-parole) N. Scott Momaday représenté par la peinture d'un bouclier des Plaines (House made of dawn) et Louise Erdrich
 
 
 















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