L'empreinte s'approfondit, l'humanité s'efface

 

Gens de maïs. Photo Vidal C. Photography 
 
Un convoi immense de camions et voitures pour forcer un blocus. Un minuscule bateau-symbole. Le bombardement de Téhéran - "préventif". La frappe en retour de Tel Aviv. Un président français fier comme un coq sur ses ergots se hausse du col, pour en être du concert des nations qui bataillent, écorchent et tuent : soutien à Israël. L'Amérique du nord flambe du Canada des forêts à la Californie dont on veut vider les migrant-es déjà asservi-es dans les orangeraies, les restaurants, les "services" comme ils disent. L'armée.
Partout l'armée.
Partout la jouissance des armes et des feux qu'elles propagent. Une jouissance de meurtre et presque plus de mots pour justifier quoi que ce soit. La raréfaction des mots dans la volupté du feu. Le plaisir du feu, le rire de qui casse ses instruments, ses meubles, sa famille, connaissant déjà qu'il sera vide de tout au réveil.
 
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Les Navajos racontent que par émergences successives du premier au cinquième monde, les créatures se dépouillèrent de leur méchanceté et de leur bêtise, du désordre de leur conduite qui ne produisait que du danger les unes pour les autres, pour finalement entendre ce que leur enseignèrent les divinités : qu'il était une voie de beauté et que cette voie consistait à chercher la beauté et l'appliquer entre les créatures, tissant sans cesse des liens, des écarts, des dessins entre les créatures, les raccommodant, les questionnant, posant au centre de leur regard le souci de soi et de la guérison, et la responsabilité également partagé par tous-tes - araignées et chevreuils, ours et serpents, pollen de pin et pollen de maïs, vents et montagnes de grès, humains, abeilles, fourmis et les différents oiseaux du ciel - de maintenir le cinquième monde en hozhò. En beauté.
Dans le quatrième monde, pour les préparer à monter dans le cinquième, les divinités firent remarquer aux créatures qu'elles n'étaient que dents, griffes, crocs et poisons. Qu'elles étaient sales et sentaient mauvais. Qu'elles étaient agitées et querelleuses, et bêtes de la bêtise de qui ne voit pas plus loin que le jour présent. Qu'il leur fallait se laver, et devenir intelligentes.
Dans le quatrième monde, pour les préparer à monter dans le cinquième, les divinités fabriquèrent les humains à partir de farine de maïs blanche, et de farine de maïs jaune.
Des divinités - Femme changeante, Dieu noir, Dieu qui parle, Le Bleu, Le Jaune, Dieu qui gronde...
Il y eut des plumes, des farines, une couverture posée dessus, des chants certainement. Au quatrième jour, c'étaient des humains.
Le vent qui soufflait les anima de vie, bien qu'ils fussent déjà, lorsque la transformation se faisait à l'abri des regards, sous plumes et couvertures, agité-es de mouvement.
Sur nos doigts, encore aujourd’hui, on voit bien les spirales de vent qui tourne. Preuve du maïs, du vent, de la beauté pour le cinquième monde.
Premier Homme et Première Femme conçurent cinq paires de jumeaux, dont le premier était hermaphrodite.
Il y eut des erreurs, mais aussi des beautés. Il y eut des divinités du cinquième monde pour protéger les humains et toutes les créatures : Nayenezghani, Tueur-de-monstre et son frère Tobadzischini, Enfant-Né- de-l'eau.
Beaucoup d'aventures, d'erreurs, oui, et de réparations.
Puis le peuple des humains s'occupa d'équilibre, de bien observer au dehors et au dedans d'eux-mêmes que les guerres soient courtes, les colères résolues, des peines et des peurs dessinées avec des sables de toutes les couleurs, à même le sol. Que des cœurs brisés et des corps fracassés par la colonisation, la tristesse et les guerres qui jetaient les humains au loin puissent être chantés, et dessinées au sol, les familles assises autour, chantant aussi, avec le pollen de maïs sur la langue, puis sur le front, puis lancé au vent matinal.
Voilà.
Regardez vos doigts. Le bout de vos doigts. Regardons le bout de nos doigts.
Vous y verrez les spirales qui disparaissent.
 
Nayenezghani et Tobadzischini. Photo d'Edward Curtis

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