Hier - en 2017 à peine - nous étions "l'opposition".
Aujourd'hui, nous sommes des gauchistes, l'ultra-gauche, des éléments dangereux.
Demain, nous serons des traîtres.
Pour un régime totalitaire, celui qui se prépare et qui couvre déjà l'entièreté quasiment du monde, l'opposant est un traître.
Comme pour la Russie de Staline, l'Allemagne d'Hitler, les Etats-unis de Trump, le Chili de Pinochet, le Japon de Hiro Hito, la Hongrie d'Orban, l'Espagne de Franco, l'Arabie des Seoud, la nation-Patrie-divinité dont rêvent les fascistes suppose la soumission religieuse ou la trahison.
Le traître, il faut le prendre vivant et le torturer. Car lui faire mal, c'est se venger sur ses chairs, par les bourreaux à la rage froide, de ce qui échappe encore à la totalité d'une tristesse, d'une terreur, d'une frustration cosmique, d'un empêchement absolu.
C'est le démon de la pureté, le délire de Hegel - la connaissance "qui se sait elle-même", où il n'y a rien qui ne soit plus sous le contrôle du connu, du su, du prévu : la contradiction "ne doit pas" exister. Hegel, ou Saint Augustin, ou Pol Pot, ou Tertullien, tous les Césars, Lénine, Platon et ses citoyens chacun surveillés par un flic, CCTV, RFID.
C'est la fin du sauvage, la fin de la forêt et les arbres seront des traverses ou clouer les traîtres et terrifier les autres.
Les enfants seront pris aux parents et élevés comme commissaires et comme soldats. Les animaux seront dressés à tuer ou à crouler sous leurs squelettes trop lourds de viande. Les enfermé-es seront recyclé-es sous forme d'abat-jour en peau humaine, dents broyées pour l'industrie, graisse fondue pour les luminaires et la nourriture pour chiens.
Vous tous-tes vous êtes déjà des traîtres. Quand la cité devient une divinité mâle et sourcilleuse c'est déjà la fin du monde.
C'est la fin du monde depuis Sparte et Rome, Berlin, Versailles, Londres capitale d'Empire où le soleil jamais ne se couche.
Nous n'avons fait que repousser, d'une fois sur l'autre, d'une latitude à une autre, l'empire d'un régime où la nuit jamais plus ne sera levée sur le jour.
Nous n'avons jamais - jamais - abattu la bête. Seulement ajournée, relancée ailleurs, endormie qq temps.
Pour l'abattre il faudrait s'admettre que nous n'avons pas besoin de dépendre. Il faudrait s'admettre que nous sommes seul-es ici bas et que c'est seul-es ensemble qu'on peut vivre. Qu'on l'appelle État, ou Papa, ou not' bon maître, ou Dieu, ou M'sieu le curé, c'est toujours la faiblesse de succomber à "plus grand que soi". 
Voilà une expression étasunienne qu'on file à longueur de médiocre film : " to be a part of something bigger than yourself" - faire partie d’une chose plus grande que soi
Le Léviathan. 
Où chaque visage est une écaille sur le monstre marin. Celui-là qui émerge pour te saisir, mais qui sinon demeure au fond des eaux, menace constante. Peur continue.
Il faudrait s'admettre (à nous-mêmes, tous les jours au réveil) que nous n'avons pas besoin de dépendre pour vivre. Que notre vie ne tient pas à "plus grand que soi"..
Rien n'est plus grand que nous, il n'y a pas d'au-delà à ta peau, tes cheveux, la chair que tu donnes à qui tu veux. Rien n'est plus grand. Il n'y a pas d'au-delà, ou de meilleur que : la forêt qui commence là, où le quartier qui s'ouvre à ta porte, ou tes enfants dont la peau est un peu la tienne.
Rien n'est plus grand.
Sinon ce que tu choisis d'appeler ton maître. Parce que tu es épuisé-e et qu'à la parfin, tu laisses aller. Tu succombes.
Et l'héroïsme de ne pas céder tu réserves ça aux romans de chevalerie et aux séries policières. Un fantasme dis-tu. Une belle histoire. Une utopie. Tu es déchiré-e entre l'héroïsme-fantasme et le sacrifice réel qui t'es à chaque jour exigé par l’État, l'entreprise, le Marché, la Production, Dieu : le Clément, le Miséricordieux - qui te broie.
Il y a un monde sans sacrifice pourtant. C'est le monde où tu ne cèdes plus. Où tu as cessé de confondre "l’extérieur" et le "plus grand". Le Dehors quand tu sors, et l'empire du patron, du parent, du policier, de la préfecture qui te donne tes permissions d'exister et du président qui donne à tous ceux-là l'exemple du divin et de ses émanations.
On ne peut plus ajourner la fin, la mise à mort du "plus-grand-que-soi".
Ça n'est pas, contrairement à ce qui est à chaque jour répété par les Corans et les Codes civils, les Torah et les circulaires, déclarations, résolutions, ça n'est pas sur le plus-grand-que-soi qui repose l'amitié avec le/la prochain-e. C'est sur toi et moi sans plus grand à nous-mêmes. Il n'y a pas besoin de plus-grand-que-soi pour agencer l'immédiat amour, l'immédiate entente, l'immédiate décision de creuser ensemble le puits, monter un mur, écrire un texte, faire l'amour, torcher les gosses, faire les courses,prendre la parole en réunion. Notre vrai monde est sans médiation, il est petit de pouvoir être touché facilement. Il n'est pas plus-grand-que-nous d'être impossible à atteindre qui nous tombe sur la peau quand il se fâche.
 

On ne peut plus ajourner la fin, la mise à mort du "plus-grand-que-soi".
Parce qu'il est désormais près d'être planétaire et peut tout couvrir. Il le peut.
Ajourner ce serait encore espérer qu'on nous sauve - médiation. Il n'y a pas de de République à bâtir plus-grande-que-nous. D'experts, de spécialistes, de professionnel-les, de sachant-es plus-grand-que-nous.
il y a nous et c'est tout, sans médiation. Nous sommes petit-es. Petit-es de l'air qui nous touche la peau. Et c'est bon comme ça.
On ne peut plus ajourner. Déjà ça craque ailleurs. A peine ici. Si le Léviathan n'est pas détruit dans les faits et dans les têtes, nous ne pourrons même plus ajourner, parce qu'il a aujourd'hui les moyens de tout recouvrir de son silence de métal.
Pas de Sauveur, de César, de Tribun, tu connais la chanson. Pas de plus-grand-que-soi.
L'abattre.
 

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