Fondamentalement, rien


 

 

 

Fondamentalement, rien.

C'est ce qu'écrit Feng Kan, sage bouddhiste, à moins qu'il ne fût taoïste, au 8e siècle, sur un mur.

Rien à attendre, tout à goûter, expérimenter.

Le soleil est d'une incroyable douceur ce matin, nous préparant avec bonté au froid qui arrive. Il enlève un petit degré chaque jour. Petit, le degré.

La dureté du château d'If et des îles du Frioul, qui en été sont tapées de chaleur, est tempérée ce matin. Lumière blanche. C’est le mistral d'hier.

Fondamentalement, rien.

C'est une noria de ferries qui passent entre les îles. Il faut montrer aux touristes, aux voyageurs, aux travailleurs aussi, accoudés au bastingage, qu'il y a promesse de beauté, de sorties, d'insolite tandis qu'ils arrivent au port.

Ni attente, ni espoir.

Dans les créatures qui sillonnent, nagent, marchent, interviennent, s'immiscent, meurent, bondissent, glissent, se décomposent... des particules collées. Dans les particules : des espaces immenses, sans consistance, collées par de l'électricité. Autant dire, rien.

Il y a davantage de vide et d'interstitiel dans la nature que de surfaces solides. C'est dire si le profond est sans substance.

Davantage de marges, de lisières, toujours repoussées et recomposées que de tangible dureté, que d'assurance d'éternité. Fondamentalement rien.

Entre les créatures : un long espace. Peut-être d'indifférence ou d'animosité, de méfiance, peut-être d'amitié et d'amour. Mais de l'espace. Rien. Enfin, rien en soi. Rien dont on puisse dire qu'il existe vraiment, puisqu'il disparaît - absence, longueur de temps, désamour, mort.

Vacuité. C'est à dire pas de sens « en soi ». Pas l'ombre d'une essence. Pas trace d'une âme. Nulle éternité.

Ni attente, ni regret.

Dans 20 000 ans peut-être le plastique qui mollement se brasse au fond de cette eau, peut-être, sera fondu ou redistribué jusqu'à l'inoffensif, jusqu'à l'inexistence. Les barques redevenues nourriture des poissons, les métaux évanouis, ou colorant la côte.

Fondamentalement, rien.

L'espèce peut-être ne sera plus là à déposer ses vêtements sur le sable pour entrer dans l'eau froide et faire un crawl jusqu'à la bouée.

Le monde rendu à sa spontanéité sans question. Sans photo.

Parce que tous s'arrêtent en chemin vers leurs courses, jogging, travail et claquent une photo des îles. De la mer.

Moi compris.

C'est que c'est plus fort que nous.

Le spectacle nous tire l’œil vers le fond de l'horizon.

Fondamentalement, rien.

Fondamentalement, la paix d'une attente éteinte.

Ah, soupirer d'aise.




A Dumé Antoni, et Serge Guidi

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