Il y a un an, j'eus l'envie d'être loin de la ville. Le besoin, fulgurant, impératif.
Loin des trottoirs défoncés, des traces d'urine sur chaque coin
de mur, klaxon, bus, des touristes trop riches, et des pauvres étiquetés
Lacoste, Balenciaga, I-Phone, consentantes victimes.
Démission ! Égoïsme !
Peut-être.
Mais je me suis réveillé l'autre jour dans l'odeur de l'humus du
Verdon, mélange de pin, chêne vert, quelques hêtres épars, cèdres,
lierre, chêne rouvre, des aulnes en bord de rivière et le frêne que
j'aime le plus, de tous les arbres. Saules aigres.
Cette
odeur t'arrête, elle te fige, et tu cesses de penser parce qu'elle
t'envahit du dehors vers le dedans. Elle fait cesser jusqu'au désir,
mais t'étend à l'horizontale, dans toutes les directions. Tu es une
nappe de parfums expirés.
Respire.
C'est la vie.
Mais l'humanité souffrante ?
Je
devrais être au milieu des pots d'échappement ? Du cri ? Des
bobos-cappuccino occupé-es à ignorer - art consommé - les immigrés qui
les entourent, les travaux qui défoncent le pavement, la misère roumaine
pieds nus sur le trottoir ?
La
tension revient souvent à la question de Camus dans l'Exil et le
royaume, dans la nouvelle Jonas : "solitaire, ou solidaire ?".
J'oscille,
tantôt l'un, tantôt l'autre. Il faut bien se reposer : tantôt du
vacarme et agitation, tantôt du retrait. D'ailleurs faut-il se
justifier, se préoccuper des voix si bien pliées-repliées en nous, qui
nous font l'urgence de nous justifier ? Du monde qui vient jusque dans
nos têtes nous accuser d'égoïsme, d'éloignement ?
Porter
de l'eau, couper du bois - faire ce qu'on a à faire, quand on doit le
faire. Un monde sans ces questions-sans-maîtres, issues
d'ordres-tout-maîtres.
Porter de
l'eau, couper du bois. Quand je serai dans la montagne j'y ferai des
choses de montagnes, et quand il faudra descendre s'asphyxier en plaine,
il le faudra, je descendrai. Simple.
Les
questions-sans-maîtres, ce sont celles qui occupent ton esprit sans que
Papamaman, ton patron, le président, ton rabbin-curé, aient besoin de
parler. Tyrans et envahisseurs.
Nous reste, sans
mensonge, l'odeur de l'humus qui nous défait de nos liens. Acier de la
houe, acier de la cognée, le bois du manche : sans façon ni tromperie.
Ce dessin, ci-dessus, c'est la toile du Wyrd.
Wyrd en saxon, norrois et vieil anglais, c'est la trame du monde. Sa toile,
concrète, avec ses répercussions, ses communications ténues ou
fracassantes. Chaque mouvement que tu fais, fait trembler ses fils qui prolongent et répercutent,ailleurs, ton action. En sanskrit, ce serait presque l'idée de Karma :
l'action et son écho.
Wyrd en anglais a donné : weird, étrange, bizarre.
Parce
que, lorsque les pères chrétiens sont arrivés dans ces contrées
brumeuses, bruyères et fougères, pour les convertir, c'est leur sexe
rabougri par la prière, leur méfiance envers les corps et la sensualité,
leur névrose d'enfermés et leur âme épouvantée par tout ce qui vit
pleinement qui les encouragea à maudire, déplacer, détester, mépriser,
tuer tout ce qui vibrait de vie.
Tu
peux te faire tatouer ce symbole, ancien : il dit l'odeur de l'humus
porté par la rosée, et la fraîcheur du monde. Il n'est pas l'odeur rance
des bougies d'église.
illustration Web of Wyrd, par Rim Baudey

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