Pour devenir Animal V - Le Serpent est le Voyant

 



Un peu de beauté dans ce monde de polémiques inutiles sur qui blasphème quoi et qui pulvérise quel record dont on se fout.
 
En hébreu, il est le Voyant (NaH'ach), "de tous les animaux, le plus nu/intelligent" (aroum). Le conseil du Serpent, c'est de discriminer, de distinguer : parmi tous les arbres du jardin, celui de la connaissance du Bien et du Mal. L'ayant trouvé cet arbre, on saura distinguer les choses, comprendre, faire nos choix. 
Ce conseil, qu'on pensait condamnation de l'homme et de la femme, peut donc être largement suivi, car il est leur projection dans le monde avec le viatique de la discrimination. 
De la pensée. 
De distinguer, ayant mangé de l'arbre de la connaissance. Sans serpent, une éternité d'obéissance et de stérilité.
La preuve : le Dieu à Delphes parle à la Pythie, femme aux serpents dans ses vapeurs souterraines. Du Lointain, c'est Apollon l'obscur-le brillant qui parle.
 
Et c'est derrière le bouclier d'Athéna, née du cerveau du Ciel que se dresse un autre serpent, tutélaire de la dynastie d'Athènes, les Erechtéides, dont les rois meurent de se jeter depuis des hauteurs. Égée, Thésée, du plus aérien, au plus solide terrestre.
 
Car il est un dialogue qui se fait entre la sagesse, la voyance, et le plus profond, le plus venimeux, le plus effrayant, et le plus inattendu. La philosophie naît d'agacer le serpent. Et foudre, d'en être mordu sans voir d'où vient la flèche. Elle naît de se frotter aux éléments et d'en être consumé. Empédocle se lançant en son Etna.
 
Contrairement à ce que dit Deleuze, dont ça arrangeait l'artisanat, la philosophie est de contempler les principes, ceux qui n'ont presque pas encore de nom, de manière à en tirer une éthique, et non de forger des concepts, pour en tirer un métier, d'infinies arguments en écoles. Il faut vraiment être au plus loin de la terre pour faire des Idées, comme Platon. Idées de quoi ? "De crasse ?" demandait Parménide pour ridiculiser le méprisant aristocrate. Avec Héraclite, Anaxagore, ils sont au plus prés des arché, des principes. 
 
Mais, en suivant le voyant là où les choses ont peu de nom, peu encore de contours ou de peau définitive, mais changeante, muante : polemos, la tension, chaos, l'ouvert, le béant (Ô promesse !), Pyr, le feu, arc qui monte autant de la terre qu'il descend des nuages, éclair ! Discorde, et Ruse. 

Ou Harmonia qui est l'art de façonner les jointures des meubles et charpentes. Quel courage il faut pour demeurer là dans le flou et le changeant, dans le multiple et le lové, dans le danger. Quelle lâcheté de créer un monde derrière celui-ci qui t'effraie. Illusion sur illusion.
 
Le réel terrible. C'est lui qui est tragique, couleuvre qui vient sans raison au ravage des œufs de mésange. Vipère, mordre le talon, se mettre au chaud sur le tas de bois. T'y surprendre.
Le serpent est le réel sans idée, sans souci de toi, sans excuse. Infiniment terrestre. Le tragique n'est pas le triste, le douloureux, qui s'opposerait au joyeux et au douillet. 
 
Insensé-e. 
 


Le tragique c'est le concret contre la solidité duquel tu ne peux rien et qui roulera jusqu'à la fin et que tu auras beau maçonner d'outres-mondes à noms de paradis, il ne te fera pas croire que tu ne mourras pas.
Car le réel c'est un foudre solide et continu qui ne cesse pas de te piquer, et que tu ignores. 
Si tu ne l'ignores pas, alors tu es fille ou fils de Python.
 
Il est la connaissance qui vient du réel. Il n'y en a pas d'autre.
 














 
 

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