Le corps alchimique, ou de ce qui se passe sous la peau.
Le corps humain est l'objet de deux spéculations.
Celle de représenter la nature, et celle d'être une image de la nature (par intégration). Les deux mouvements sont inverses et peuvent peut-être pointer vers une aliénation et son remède.
L'aliénation c'est celle affirmée par l'Eglise chrétienne, mais déjà consommée par le judaïsme (et par Platon en partie), et confirmée par Descartes : nous ne sommes pas de la nature, mais au contraire, nous en sommes maîtres (au masculin) et nous en sommes la mesure comme le montrent certaines des images ci-dessous, plaçant l'homme au centre et définissant le reste.
Cette aliénation est déjà celle qui nous rejette du monde, selon une certaine lecture de la Genèse (qu'on n'est pas obligé de suivre, il y en a d'autres lectures, plus profondes).
Elle est surtout celle décrétée et voulue, avec une force qu'on peut soupçonner de coupable, de St Augustin. C'est lui le premier qui définit le pêché d'Adam et d'Eve comme "originel", et de surcroît comme de nature sexuelle. A quoi il confirme que sexe = honte.
A cette honteuse manie de nous faire honte de nos corps et de leurs potentialités, répond l'impérieuse pulsion à nous y réintégrer.
L'étude et la manipulation de la matière envisagée par l'alchimie, correspond à cette pulsion. Je dis pulsion parce qu'on voit bien que s'y opère un besoin en partie inconscient, et surtout refoulé par la société de leur temps, de faire s'exprimer le corps, de le montrer, de le faire s'incarner en éléments de la nature ou que la nature s'y retrouve mélangée.
Semences, liqueurs corporelles et mercures liquides, constellations correspondant aux organes, femme barbue (bisexuée donc) accouchant des figures terrestres, copulations et mutations au plus secret des cornues, putréfactions suivies de sublimations, animaux-humains, humains-arbres, reptiles chevauchés, corps bifides et indivis, chimiques productions dont on ne sait plus si elles sont humaines ou cosmiques...
Tandis que l'Occident, médiéval et renaissant, et son alchimie sont à interroger la matière pour réveiller ses corporelles capacités, l'Orient (l'Inde et la Chine) plonge à l'intérieur du corps pour y produire de l'alchimie. Canaux subtils (nadis indiens) et fourneaux intérieurs (triple foyer/réchauffeur chinois), soufflets de forge (bhastrika du yoga), barattage (nauli), positionnement de divinités et constellations par l'imagination sur les différentes parties du corps...
Tout cela est exploré et expérimenté physiquement en Asie. L'alchimie occidentale expérimente matériellement, mais en donnant la chance au processus de bouleverser, d'opérer un effet dans la durée, sur le chercheur, la chercheuse. Dynamique de macrocosme-microcosme. Pas de jugement de valeur ici, les deux se valent.
La morale c'est qu'à faire sortir la nature par la porte à grand coups de fouet, de cilice, de bûchers, de punitions corporelles, de terreur religieuse qui se confond avec la terreur temporelle, le corps se venge et rend fou et malade, ou bien trouve à repasser par la fenêtre. L'alchimie, l'art, la transgression festive, c'est la fenêtre.
Il ne faut pas s'y tromper, notre époque n'a aucunement libéré le corps de sa honte judéo-chrétienne. Elle l'a marchandisé par l'image
ou le commerce sexuel, dissimulé par la relégation des fous, des
pauvres et des personnes racisées, ou trivialisé par des discours aussi
creux qu'une tête d'attaché parlementaire. Notre honte n'est pas bue.
Quand Macron donne son avis sur le crop-top,
c'est ça. Quand un taliban jette de l'acide au visage d'une femme c'est
ça. Tout comme c'est ça quand on fustige connement le port du voile par
"laïcité" sans en comprendre le détournement par certaines femmes.
La
pulsion est double : se réinscrire dans la nature, et inscrire la
nature en soi. C'est à dire : annuler le divorce nature-culture.
Parvenir même à cesser de dire "nature", mais lire une personne à ses
tatouages et à ses rides, un jaguar à ses tâches, la société à la trace
de forêt qu'elle se laisse dévoiler.
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