Les deux veines du corps-flic.
Non, la police n'est pas censée nous protéger comme le clama un jour une publication de la CGT, pensant bien faire.
La police a été conçue pour nous surveiller, pour réprimer la contestation lorsque celle-ci devient intolérable aux gouvernements.
La police est née dans les colonies, en outre-mer, loin. Là où surveillance et répression ne sont pas visibles par les yeux de l'opinion, loin des observations des gazetiers ou pamphlétaires, ou des hérauts du droit nouveau né avec les soi-disant Lumières.
Là où le guet ou les archers de ville étaient dépêchés pour saisir les corps et les jeter en prison, la police opère une chose nouvelle. Et elle l'opère sur les corps laborieux par excellence : les esclaves des colonies pour les forcer au travail et empêcher la fuite.
Elle surveille, la police : les allers-venues, les flux d'esclaves, que le vol d'équipement, victuailles, armes ne lèse pas le propriétaire-maître, que ça ne s'enfuit pas, qua ça n'aille pas marronner sur les cimes. Cimarron.
Évident auxiliaire du capitalisme triomphant, le flic est d’abord le garde-chiourme juché sur son cheval, carabine au poing, fouet au côté, au pas lent de sa bête, à compter les têtes baissées, les corps enchaînés, les "pièces d'ébène" qui débroussaillent ou ramassent grain et canne - qu'il n'en manque pas. Comptable auprès du maître il est, le flic.
Les municipes, milices, archers étaient des auxiliaires d'injustice à l'action sporadique, déclenchés pour contraindre le relaps, l'hérétique, le voleur. La société n'était pas surveillée. Elle était punie lorsque le crime devenait visible.
La première veine du corps flic est la coloniale.
Au
16e siècle, les Portugais testent pendant une cinquantaine d'années, à
São Tomé, une forme nouvelle d'esclavage. Massification du labeur d'une
popualtion enlevée à l'Afrique, mise aux champs de canne à sucre et
coton. Compartimenté-es, trié-es, séparées. On mesure le temps de
travail, la résistance des corps, les outils nécessaires, on modifie les générations par le viol systématique comme on améliore le bétail par accouplements...
L'expérience fonctionne. On passe en phase industrielle.
Autour des esclaves, les gardes, comme on a dit.
La première veine du corps-flic est la surveillance.
Elle se propage en toute logique capitaliste à tous les flux. Il ne s'agit plus de saisir le corps criminel, il s'agit de compter les têtes, serrer l'enveloppe autour du corps social, empêcher coulage de la marchandise et dégradation du produit et de l'outil. Le flic (gardien, maton, garde-chiourme, "bull" des chemins de fer étasuniens...) est le concret, l'évident, du réseau subtil de contrôles capitalistes de l'usine - 3/8, pointeuse, taylorisme, Qualité Totale, Kaizen, management participatif ...
Il est le signe visible du réseau subtil du contrôle social que forment d'autres mesures, plus subtiles - les caméras de surveillance ; les bancs publics à la longueur fractionnée pour les interdire aux oisifs-déclassés ; l'auto-surveillance "citoyenne" (voisins vigilants et peur du gendarme) ; les narrations glorifiant la geste policière, la tragédie du ripou au grand cœur, du tueur à la vengeance "compréhensible" ; la reconnaissance faciale ; l'auto-traçage par smartphone, réseaux sociaux ...
La veine coloniale qui, dans le corps-flic se ramifie, prend son point de départ dans l'esclavage et se prolonge jusqu'en Algérie, Kanaky, Kamerun ... Dans ses anciennes colonies, envisagées sous leur aspect de ressource à exploiter, l'action militaire se confond tout naturellement avec l'opération de police. Le corps-flic vascularise alors, et pousse de nouvelles artères vers la métropole. Enfin. Les logiques de contrainte des populations soumises des colonies sont appliquées aux corps, aux flux, aux ressources, aux points de passage, aux façades commerciales du pays d'origine. Les symboles du pouvoir sont protégés, et les populations françaises sont désormais envisagées à leur tour sous leur aspect de ressource à exploiter.
Il était temps de le reconnaître. Les travailleurs-euses sont des ressources à exploiter.
Il n'y a pas vraiment de grand écart. L'entrave que forme le salaire n'empêche pas que le travail est un esclavage d'un type nouveau.
La deuxième veine est la nazie, la fasciste, celle de Vichy et la création de la police nationale.
Chaque terme compte : police.
Nationale.
La veine flique est celle du racisme. Il s'agit de poursuivre surveillance et répression, mais plus seulement pour que s'harmonisent les courants capitalistes et qu'ils s'écoulent sans heurts, mais pour que soient toujours distinguables "indésirables" et légitimes, juifs et aryens, autochtones et allogènes, bons citoyens et replets bourgeois du centre ville ou de la banlieue pavillonnaire et éléments des banlieues fauves et incontrôlés, incontrôlables, mais contrôlés quand même. Infiniment, sans arrêt, sans répit. Provoqués, exaspérés, humiliés, battus. Tués.
La deuxième veine du corps flic est la raciste, qui part de la rue Lauriston et aboutit au pied de chaque immeuble, de chaque cité de France, de chaque camp Rrom, au croisement de chaque carrefour. De la tête de wagon plein de supplétifs gonflés de testostérone de la police SNCF, au pied de la Maison de la Radio - sirènes, gyrophares, menaces aux journalistes, République flique.
L’œil flic voit les nuances de peau et sait agir en conséquence. Ses subtils capteurs distinguent l'encostumé cadre à l'ivresse pardonnable du reubeu en survêt'. Son corps au flic, sait s'adapter subtilement à ces signes, aux différentes robes des différents animaux qui font son monde. Le corps flic met les mains sur les hanches, éploie son triangle de sustentation face aux femmes à impressionner, aux habitants des cités à terroriser. Il se fige au garde-à vous devant l'intéro-ministre, dont il sait très bien, le flic, que c'est le ministre qui le craint et non le contraire.
Le corps flic aime à s'immiscer. Dans les portes, dans les habitations, dans les campements romani au petit matin, et jusque dans les corps qu'il fouille que n'interroge pas son inconscient où tout est refoulé-défoulé : jouissance du viol, jouissance du meurtre, jouissance de l'étouffement, jouissance de la matraque, jouissance du poids sur son corps-flic de son exo-carapace, de ses antennes qui crachotent en hertzien, de ses pinces prolongées d'armes, protégées de plastique, jouissance de ses semblables, muscles gras, salles de garde, humour immonde, jouissance de sa crasse profonde. Identique jouissance du Sonder-kommando, du Schutzstaffel (SS - escadron de ... protection) devant la souffrance, la soumission, la mort.
Le corps-flic, celui qui a bien mérité du service, est décoré au front des troupes. Il en redouble de zèle.
Le tueur de Nahel, ancien décoré.
La veine raciste du flic est là pour séparer, distinguer sans cesse le bon grain de l'ivraie.
Il provoque chez le quidam, le léger pas de côté que fait celui-ci pour se distinguer du basané, du pas-de-chez-nous, la légère voussure des épaules qui consent à la police, le regard qui fuit juste ce qu'il faut pour indiquer qu'il collabore à l'ordre et n'est pas le voyou en mobylette, qu'il n'est pas de la racaille.
Le corps-flic lorsqu'il apparaît provoque ces ondes subtiles dans le corps social : se différencier, se séparer, se désolidariser de ce que les consciences savent percevoir sans qu'il faille recourir à une explication de texte : le blanc, du plus sombre, le bon citoyen du mauvais, le natif de l'importé : pas de côté, voussure légère, regard fuyant. Autant de signes pour le flic qui peut interpeller, saisir, heurter, arrêter, malmener, insulter, violer, tuer.
Les deux veines du corps-flic : la coloniale, la raciste.
Surveiller-saisir. Contrôler-réprimer. Humilier-tuer.
Une génétique policière.
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