Tous les soirs une œuvre. Queneau.

 

 
Et là on ne rigole plus. Shakespeare c'est bien dans le genre tout le monde meurt. Et Cervantès, très bien aussi, à condition d'aimer les grands moments de l'humanité, le tragique quotidien, le naufrage de la vieillesse et la folie sublime, le tout écrit par un ancien mercenaire amputé d'un bras. 

Queneau, c'est plus, c’est mieux, c'est la vie vraie, un peu ridicule parfois, toujours amusée, même aux prises avec l'histoire, l'absurde, le danger, le langage qui emprisonne.
 
Queneau c’est le plus grand écrivain français du vingtième siècle. Je le sais parce que c'est mon préféré. Et je ne souffrirai aucune contestation. 
 
Les grandes épopées, fresques etc, Queneau il les met dans le métro (Zazie), dans un autobus (Exercices de style) en banlieue (Loin de Rueil). Les grandes fresques il leur tord le cou, mais avec tendresse et avec la reconnaissance du génie littéraire de ceux-celles qui ont précédé.
 
Il tord le cou à la grandiloquence, aux envolées lyriques, pour que ces héros soient sauvés par leur humanité simple et non par leur destin tragique avec roulements de tambour. Qu'ils soient sauvés par un pas de côté, un calembour, un bras d'honneur plutôt qu'une passe d'armes.
 
Les Fleurs bleues - qui est le plus beau livre de tout le vingtième siècle (si, si) - télescope les époques et les héros pour montrer les constantes de la bonté humaine, de sa simplicité, de sa malice.
 
Ce qu'il aime Queneau, c'est le continu : 
 
une même histoire racontée de trente et qq façons (exercices de style) en changeant de ton, de registre langagier, de lettre de l'alphabet... Oulipo oblige. L'OUvroir de LIttérature POtentielle (Georges Perec aussi en fit partie) fonctionne par l'introduction de contraintes stylistiques ou thématiques, pour densifier, intensifier la force créative. (Exercices de style est une mine d'or pour les acteurs).
 
Mille milliards de poèmes est aussi une histoire de continu : des bandes de papier découpés à raison de 14 par pages pour faire des sonnets, avec chacun une rime identique : on peut tourner une bande de papier comprenant un vers, fouiller dix pages plus loin pr la seconde et ainsi de suite, et composer des poèmes toujours différents, à l'infini presque.
 
Le continu c'est, dans Les fleurs bleues, un héros qui arrive de l'époque de Charlemagne jusqu'à nous, à cheval, tandis qu'un marinier des bords de Seine (ou de Marne je ne sais plus) vit sa vie tout en rêvant du lointain chevalier, le tout s'étirant, paresseusement, jusqu'à nos jours. C'est un des livres les plus drôles et les plus poignants qui soient. Il ne se passe que du trivial et pourtant on le referme la gorge serrée et la larme à l’œil. Peut-être est-ce la première fois qu'on s'est senti si profondément et si bêtement humain de notre vie en lisant un livre.
 
Le continu, c'est le contraire de l'essentialisme. C'est à dire que c’est le contraire du fractionné. Cherche le continu, le réel, c'est empêcher l'essentialisme, le racisme, la bêtise, le dogme. Queneau est un homme qui montre ce que c'est que de fuir la norme avec brio et à gorge déployé.
 
Jean Bernard Pouy, le génial et anarchiste créateur du Poulpe, de "Spinoza encule Hegel", de "Les roubignolles du destin", de "La petite écuyère a cafté"... Polars drolatiques, politiques et incroyablement intelligents, est à ce titre, le digne hériter de Queneau (dans un genre plus iconoclaste quand même). Il en est un héritier assumé. Il faut lire ses livres : dans chacun il y a une contrainte à deviner qui cadre l'histoire et les mots.
 
Queneau : les Fleurs bleues. 
 
Un jour que je marchais dans Paris, j'arrive rue Mazet (quartier de St Germain des Près) par un beau jour de printemps. Une jeune femme de 20 ans plus jeune que moi (à l'époque) est en terrasse et lit... les Fleurs bleues. Ça me bouleverse ça, qu'il passe les générations ce livre, qu'il ait cette force.
Je l'interromps dans sa lecture et je lui dis : "C’est le plus beau livre du monde". Elle lève les yeux vers moi, et après un moment court de surprise, elle me dit, l'émotion au fond de la gorge : "Ah oui alors !". 
 
Nous sommes deux à le savoir. C'est donc vrai.
 
La poésie et la force sont ailleurs que dans l'évidente épopée, la rebattue dithyrambe, le morceau de bravoure. Queneau a des héros qui se satisfont des coups du sort, ou qui les déjouent avec des jeux de mots. Ils et elles sont insolent-es (avec une part belle aux héroïnes - femmes ( Zazie, Sally Mara...), fatalistes, joueurs et c'est par l'humour, c'est à dire par la plasticité, qu'ils/elles déjouent la rigidité des cons. 
 
On est évidemment dans la filiation de Rabelais, de Chaucer, de Desproges aussi, de Pouy donc. Du plaisir pour vaincre les peurs et de l'agilité gourmande pour déjouer les balles perdues.
 
Queneau.
 
 











 

Commentaires

  1. J'adore cet auteur, cet homme, ses fleurs bleues, algilufe , le cheval, ses milles poémes et tant d'autres. Content de voir qu'il est reconnu car on n'en parle guère.

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    1. Merci de votre commentaire. Et content de voir que notre admiration pour Queneau est partagée. C'est un signe que nous ne sommes pas encore au fond du trou !

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  2. Pardon j'ai répondu de manière anonyme

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