Le langage de l'ogre.
La toxicité se recouvre d'un discours autour de la fragilité prétendue des persécuteurs.
C'est sur cette ambivalence, ou ce point de bascule, que jouent les prédateurs, ogres, toxiques : celle qui se situe entre bourreau et victime.
Je suis vieux, ne m'accablez plus. Je suis malade, ne relevez pas mes fautes, mais oubliez-les. J'ai eu une enfance malheureuse, ou je me suis pris les pieds dans le tapis, Maman n'a pas toujours cédé à mes caprices, c'est pourquoi ceci-cela
En souvenir que j'ai eu de bons moments...
... il faut me pardonner le mal que je fais.
Tout le mal ?
Oui, tout.
Il faut m'aimer et m'admirer encore plus.
Voyez, je suis fragile. J'ai passé une carrière/une vie, à me faire passer pour incontournable, indépassable, tant je prenais de place, tant je ne cédais pas de place, tant je ravissais la place des autres, leurs mots, leurs pensées, leur santé, leurs corps évidemment.
Leurs corps.
Arrivé au corps, monstre sacré soi-disant, artiste soi-disant, créateur soi-disant, je me disculpe.
Je me disculpe, parce que j'ai toujours, justement, les mots de "sacré", d'"artiste", de "créateur", pour inverser-retourner la chose. Le corps voyons, messieurs-dames (surtout mesdames) ! Mais nous parlons d'esprit, de concepts ! Nous avons, de ces corps - spoliés, défaits, tremblants encore - fait des idées, des œuvres, des personnages, des notes de bas de pages, des égéries éventuellement (je suis encore bon prince , non ?). Nous avons fait de l'art, c'est à dire de l'admirable, à distance, avec vitrine et billet payant.
Alors quoi ? Me reprocher, à moi,
monstre,
sacré,
père de famille
artiste
malade ou vieux
icône
cash-flow et vache
à lait, à citations, à référence, à veaux qui me suivent
à Moi, à Moi à MOI !!! On veut faire reproche d'avoir spolié détruit obsédé pris ce que je voulais prendre selon mon insatiable appétit, mes petites idées mises en système et en note de bas de page, en livre et en photos, en films et en tableaux (retrospective !). On veut, A MOI !!! me reprocher d'avoir pris et détruit ?
Ah mais c'était avant, avant que je ne sois malade, ou vieux, ou passé de mode, ou victime, oui, victime de cette immonde cabale : "quelle indignité".
J'aurais fait de ces corps de pures idées, et une idée, on ne lui fait pas de mal. Voyons, une idée, ça n'est pas matériel, ça n'est pas concret. Ces femmes, ces enfants, ces femmes-enfants, pas de mal, non, des idées, de pures idées.
Et encore bien heureux qu'ils-elles se retrouvent dans des personnages de mes livres/tableaux/films.
C'est ailleurs. Comme je suis ailleurs moi-même , moi-même artiste, peintre, écrivain : pour l'art le cinéma l'écriture la transgression la révolution le changement...
Et avec l’œuvre, par l’œuvre, l'artiste, veut échapper à sa monstruosité, boucle sa boucle, en jouant des trois personnages : sauveur par la révolution qu'il a apporté, soi-disant, à son art. Persécuteur parce qu'il est mâle et que les statuts s'accumulent jusqu'à faire du mal qu'on fait un aboutissement normal, même attendu par "son public" (il est comme ça Gérard. Avec ses responsabilités, le président, le ministre, le PDG, le directeur vous comprenez, il est normal qu'il dérape... En tant qu'artistes transgressifs Matzneff, Gide, Picasso, Dali. En tant que révolutionnaires Lénine, Castro, Robespierre, Staline, Guevara ... En tant que Grands Penseurs, St Paul le Zélé, St Augustin le totalitaire, Heidegger le nazi, Hegel l'absolutiste...). Enfin, jouons victime pour ne laisser, encore une fois aucune place, aucune place.
Je t'ai fait du mal ? Mais vois comme je souffre.
Il ne s'agit pas de Depardieu.
Il s'agit d'un système relationnel plus profond qui étaye notre société jusque dans son mode politique.
Quand Sarkozy pleurniche du mal qu'on lui fait, ou qu'un Macron pleurniche parce que son coeur saigne qu'on ne comprenne pas sa politique destructrice de vies et de sociétés, ou que Trump pleurniche et provoque l'assaut fasciste du Capitole, il s'agit d'une seule et même chose. Quelle différence avec "pas ma faute, c'est la faute des ju*fs, des ar*bes, c'est elle monsieur le Juge qui met des vêtements provocants, pas ma faute c'est la pression pour laquelle je suis payé 7000 balles+ par mois, je suis ton père tu me dois le respect et je suis fatigué parce que j'amène de quoi manger à la famille, moi alors il faut comprendre que je prenne toute la place, que j'occupe tous les esprits, que je pille vos cœurs comme je pille vos corps.
C'est l'histoire d'un système total qui permet que le mâle de l'espèce, ainsi que ses truchements modernes (la "femme active" qui agit "comme un homme") occupe totalement la place : celle des femmes et des enfants, celle de la nature, celle de la divinité, celle des lois, celle des représentations. Pas seulement en tant que dominations des hommes sur la société, mais encore du concept mâle dans la forme des rues, des cadres des tableaux des musées, de la forme de la grammaire et de ce qu'elle agit et entraîne, de la manière de se véhiculer, de ce qu'il est possible et acceptable de peindre, écrire, dire, et même de croire. Dieu - Il.
Dans ce système total, le mécanisme de la perversion permet d'occuper tout et de se disculper de tout. Sachant que la notion même de culpabilité est centrale au système : après avoir édifié un monde incontournable (sauveur), pris et détruit les personnes qui en font partie (persécuteur), il reste, aux petits garçons que ce monde n'a pas eu besoin de munir d'un mode d'emploi pour justifier de leurs exactions, la possibilité de pleurnicher (victime).
Le système du patriarcat dispose des alliés qui lui sont acquis. Ce sont les thuriféraires, les servants, les régisseurs qui ferment les yeux, la mère qui ferme les yeux, le curé qui ferme les yeux, le président français qui d'une main bénigne absout et néglige, l'ancienne compagne qui dit "il faut le comprendre le pauvre", la femme qui dit "papa est fatigué les enfants, il a beaucoup travaillé".
Il ne s'agit pas de Depardieu, il s'agit des petits garçons qui ont imposé leur humeur, transformé les autres en jouets, et puis qui les ont cassé.
Il s'agit de ton prof, de ton mari, de mon patron, de mon compagnon qui n’accompagne rien, il s'agit de ton candidat en qui tu vois un recours, la seule solution, le dernier espoir, il s'agit de mon confesseur, de mon curé, de ton rabbin, de ton psy avec qui tu ferais bien un transfert miam-miam, il s'agit de ton père ce salaud, de mon père cette ordure
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