La Wehrmacht s'invite à la Libération de Paris. Ou : de la jouissance d'être bête

 


 
 
On est résolument dans le monde du faux. 
Tout est bon, everything goes, rien ne va plus. 
Les jeux sont faits... 
L'image ci-dessus est produite par le gouvernement.
Français. 
Elle glorifie la Libération et met à disposition sur l'un de ses sites des vidéos réalisées avec l'IA et qui retracent l'histoire de France dans ses grands épisodes. En parallèle le Huffington Post montre des films fabriqués avec l'IA, censés expliquer l'Histoire. Sauf que tout est faux, inexact, fantasmatique, digne du 19e siècle et absolument contradictoire avec la recherche archéologique, sociologique, historique, pourtant accessible.
Le gouvernement français produit cette image où un soldat allemand, réjoui, en bonne santé, avec son casque et son uniforme facilement reconnaissable exulte à la Libération de Paris. 
Au pays de Michelet c'est un peu ... scabreux. Pour dire le moins.
 
L'IA ne pense pas à notre place, c'est nous qui ne pensons plus, mais donnons des instructions à nos instruments en dépit de notre inculture organisée, de notre désinvolture criminelle qu'on voit à la réalisation de cette vidéo, aux propos tenus quotidiennement sur le massacre à Gaza, au Soudan, au Congo, sans parler de la planète en feu.
Une profonde bêtise.
Une historienne interrogée sur la véracité factuelle de ces images publiées par le Huff' Post, sacrifie malgré elle au prêt à penser et à l'automatisme dés qu'on parle de technologie : ça n'est pas l'IA qui est en cause, mais l'usage.
Si. C'est l'IA qui est en cause. Ni la science, ni les techniques que nous développons ne sont neutres.
Si le canif que j'ai depuis plus de trente ans dans ma poche me sert à couper du fromage ou un bout de ficelle, il est trop piètre pour me servir d'arme.
Un flingue ne sert qu'à une chose, et le nucléaire "civil" n'est qu'une concession à l'arme de destruction totale qu'est l'atome de la bombe. Un flic est un instrument de contrôle et non de protection ou de résolution d'énigmes comme tentent de nous en persuader les séries policières.
L'IA, tu peux l'acheter sous la forme de logiciel et lui confier tes fantasmes qu'il réalisera au moyen de qq instructions et le produit fini aura cette belle rondeur étasunienne dont toute aspérité est gommée, comme pour leur musique, leurs scénarios, leurs écrits, leur urbanisation.
Et c'est dix, cent, mille fois que se trouvent réfractées sur l'internet les mêmes informations, les mêmes approximations, dans un français, ou un espagnol ou un italien de bazar, mal traduites de la brochure commerciale étasunienne d'origine, pauvre langue de comptables et de vendeurs parlée par 500 millions de personnes qui se pensent la lumière du monde.
Les mêmes pauvres informations parcellaires, clichés de clichés. Disponibilité, facilité, popularité.
Ce délire protestant, cette exigence de parvenus : que tout soit accessible immédiatement ; que je n'ai pas à transpirer pour comprendre, savoir, faire ; que la vox populi, en fait la quantité statistiques d'occurrences m'indique le bon choix : que je ne m'égare, ni ne me distingue, si ce n'est par une sur-conformité.
Les livres sont silencieux dit Pascal Quignard et fabriquent en nous et autour de nous du silence tandis que nous lisons.
J'avais remarqué cette constante chez les anarchistes qu'ils et elles lisent. Ils et elles explorent des pensées, pèsent, déambulent, comparent, s'échangent des livres. Nombreux.
Ça n'est pas dire que d'autres ne lisent pas. C'est dire que c'est un trait de la culture libertaire d'aimer les livres et que le fruit des lectures soit reversé dans l'action. (Une action dont il n'y aurait pas que Marx comme déclencheur). De ce moment de silence, qui est déjà une création, sort de l'action.
Alors confier notre sort, notre avis à une machine ?
L'IA ne sert que l'avis. Elle ne fabrique que de l'opinion. Pour récréatif qu'elle puisse être, l'IA est loin de se borner à la fabrication d'images, ou une production, disons, artistique.
On lui confie, pour gagner du temps : l'écriture de rapports, de compte-rendus, de traductions. On lui demande de faire des projections statistiques, prédictives. On la nourrit des clichés culturels et historiques de la culture mondialisée dominante blanche étasunienne, celle-là même qui s'est volontairement coupée du flux du monde depuis 150 ans, par mépris et obstination, et on en fabrique des "narrations" dont on prétend qu'elles disent vrai. 
 
L'IA sacrifie deux choses qui sont en fait une seule chose : vérité et nuance.
Si la vérité n'est pas atteignable, n'existe pas vraiment pour notre humaine puissance, elle est en tout cas notre indicateur. 
2 + 2 font quatre. 
En tant que référence, elle nous permet justement la nuance, le flou, un flou maîtrisé, la création. La vérité-référence c'est le concret, c'est le réel.
2 + 2 font quatre.
La vérité comme référence, c'est à dire la vérité que nous souffrons quand nous nous blessons, que les objets tombent vers le bas, que nous sommes attiré-es les un-es vers les autres tout en nous repoussant aussi, que l'exploration devant et autour de nous nous est aussi indispensable que l'eau et le pain, la vérité - c'est à dire le réel - ouvre le champ de la vie bonne.
Tandis que l'IA, qui est le domaine du faux, qui est le domaine de l'illusion volontaire, chérie, voulue est le signe du triomphe de ce que nous sommes de pire.
Craintif-ves, veules, haineux-ses, retranché-es, satisfait-es de notre perplexité, réclamant d'être confus comme s'il s'agissait d'un droit et d'un plaisir. Accroché-es comme des berniques à tous ces arrière-mondes que nous aimons tant, qui ne sont nulle part visibles, qui nous font tuer et mépriser, mais que nous préférons à ce qui se voit et se ressent vraiment.
L'IA - l'IA comme pratique, comme référence, comme outil, comme aboutissement de notre activité, tout ça à la fois - c'est le triomphe de la pensée religieuse d'antan. C'est à dire de l’institution faite pour asservir et qui, quand elle disait "vérité", parlait de l'invisible, de l'impérieux, de l'obligatoire, mais inexistant. Le non-être de Parménide, le Grand soir, la Révélation, la voix qui était dans le buisson qu'on a installée dans le Temple, le mensonge, l'Idée, les mille formes toutes plus atroces d'arrière-monde. Ces gens, quand ils disaient "Vérité", ils disaient "ce qui n'est pas réel" et faisait passer pour évident qu'on devait venir devant, y courber la nuque.
L'IA c'est la haine du réel, c'est la haine de l'humain, c'est la haine justement de la vérité tandis que nous disons "vérité". C'est vouloir que nous restions asservi-es, occupées à nos jouets tandis que ça brûle.
Alors qu'il y ait un soldat allemand souriant à la Libération, bien sûr, c'est un détail, comme aurait dit l'ignoble Borgne.

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