œuvre de Marie-Pierre Brunel (2021)
Nudité.
Ce texte est une suite fascinée, meurtrie et affolée d'incompréhension d'un texte précédent qui s'intitulait Du corps : corps honteux. Je demeure fasciné-désolé encore de la manière dont nous repoussons la nudité, signe que nous ne sommes toujours pas pleinement humains.
Vous pouvez, sur Facebook, être frappé d'interdit parce que vous avez montré un nu. Frappé d'interdit comme jadis, l’Église frappait d'interdit, bannissait, écartait du fautif la possibilité de tout contact social.
Facebook n'est que la fine pointe de plus profond. Presque un épiphénomène. Extrêmement grand en taille, mais une pointe dont le fond est dans le profond de notre monde.
On m'envoie un dessin montrant un indigène Selknam du Chili, nu (ci-dessus). C'est un dessin. Je réponds par une photo du sublime album du photographe Martin Gusinde qui a fait des portraits extraordinaires des amérindiens du Sud du Chili/Argentine.
Puisqu'ils sont nus.
Sans nous arrêter à l'épiphénomène Facebook, appelons le phénomène entier d'un autre nom. Appelons-le "exantlification", du grec exantlo qui veut dire affaiblir, épuiser, intentionnellement, avec une idée d'enlaidir, de consumer...
L'exantlification, via Facebook, me dit que je suis désormais restreint, qu'ils enlèvent la photo, qu'ils m'interdisent de discuter dans des groupes.
Parce que : nu.
Il me disent qu'ils sont compréhensifs, qu'ils veulent qu'à mon tour je comprenne : ils m'expliquent pourquoi tout ça.
Ils me disent c'est de la nudité.
Nudité c'est suffisant comme raison. Il me faut comprendre que nudité c'est mal. Que nudité c'est mal et que c'est évident pourquoi c'est mal.
C'est mal parce que certaines personnes pourraient être choquées.
Elles pourraient être choquées parce que : nudité.
Nudité c'est suffisant, nécessaire, évident pourquoi c'est mal. Donc interdit.
Voir un indigène nu c'est de la nudité, me dit-on. Ce que je savais déjà.
Je comprends bien que pour l'exantlification "nu", c'est mal.
Que nu c'est mal et c'est choquant parce que depuis qu'on a mangé de l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui n'est pas du tout ce que veut dire le texte mais que c'est ce que comprend le chrétien, le curé, le ministre protestant du culte, l'imam et le rabbin, tous habillés de mâles parures, et que c'est ce qu'ils font dire au texte même si ça n'est pas ce que dit le texte, alors c'est mal ils font dire au texte que nous savons que nous sommes nus depuis que nous avons mangé de l'arbre et nus, nous ne pouvons plus, nous ne devons plus l'être parce que c'est pour ça que nous avons été chassé du jardin d'Eden.
Que les sauvages nus c'est mal.
Nus c'est mal, sauvage c'est mal.
Les gens pas blancs, ni protestants, chrétiens, enfin, monothéistes et détestant la nudité, pas habillés en somme, ne craignant pas Dieu... c'est mal.
C'est évident.
Je m'étonne : mais non. Ça n'est pas étonnant.
L'hébreu, je le répète, dit aroum : intelligent ET nu. Nous avons mangé de l'arbre qui nous a rendu-es aroum. Nu-es et intelligent-es.
Les deux. Les deux, nu-es de la nudité de l'innocence, ou de la nudité du courage de se délester, et alors : intelligent-es. C'est à dire connaissant Tov VaRa en hébreu : connaissant le bon et le différent.
Nu. Nudité.
Ils projettent des jeunes femmes anorexiques, au regard triste, affublés de vêtements valant des milliers d'euros, sur leurs os qui pointent, leurs yeux tristes de gamines de 16 ans, ils les dénudent, leur font écarter les jambes se pencher en avant ou minauder pour plaire au mâle de 40 ans - grammaire de l'obscénité. Obscénité : mise en scène devant, jetée là, devant. Lumières des flashs et poses lascives. 16 ans. Anorexiques. Des esclaves, des esclaves du regard.
La crudité de la sexualisation.
Mais : nu indigène.
Mais : nudité.
Nudité des Selknam, des habitants de la Terre de Feu.
Nudité et honte de curé de la nudité.
Puni pour la nudité, mais les jeunes femmes habillées dénudées pour le mâle occidental et sa femme, riches, feuilletant Vogue, ou Harper's Bazar à toute vitesse, entre deux avions à l'industrielle fumée qui sort des tuyères, dans un aéroport gris tendance et jaune signalisation.
Puni parce que la beauté des être humains est insupportable.
Pour ces gens-là, insupportable.
La beauté de ce que nous sommes capables de produire avec des plumes, de l'écorce, nos corps, les cérémonies que nous mettons en scène. Les mots. Notre dignité native.
Pas ob-scènes.
Pas obscène la Beauté
Non, pas jetée en scène, devant.
Non.
Intégrée, mise dedans : théâtre, cérémonie.
Nudité pour un rituel peut-être de guérison. Nu de Grec, nu de Selknam, nu de Nouba soudanais...
Nietzsche appelait contre-nature cette horreur du corps et de sa puissance de vie, et suggérait qu'il fallait que les lieux de culte anciens où l'on prêchait la contre-nature, inspirassent l'horreur.
Je dis, il faudrait se dénuder de cette religion, cette affreuse morale, partout où elle se cache encore.
Il faut extirper de nous, fibre à fibre, lambeaux pourri après guenille atroce, les mots et les gestes qui nous intiment de nous méfier-détester nos corps. De détester ce dont nous sommes capables quand la beauté nous prend, qu'il s'agisse des mots inventés, des gestes tournées comme on tourne de l'argile, des pas, des regards et des musiques.
Patient travail de chaque instant, à laver nos regards de la saleté-prêtre, de la gerçure-rabbin, de la veine malade-imam : râper le traces du prêtre en nous jusqu'à ce que le bois sente à nouveau la forêt, la résine. Notre fraîcheur.
Il faudrait punir les prêtres, et les faire danser nus, la nuit au bord du gouffre d'une falaise de Terre de feu. Les bourrer de peyote, ou de psilocybine, les dénuder de leur atroce morale, de leur arrière-monde, monstrueux, les faire danser jusqu'à ce que leur nudité remonte à la surface, qu'ils soient vidés des vêtements dont ils affublent tout notre regard, pauvres loques, des vêtements qu'ils veulent arracher aux enfants, aux femmes, aux habitants anciens, plaisir de violer et d'arracher.
Toujours le plaisir de l'écorchement depuis Bernard de Cîteaux, prêchant la mort des Albigeois, ou d'autres, n'importe : prêchant la mort des arabes, des juifs, des sauvages.
Leur sexe mâle recroquevillé sous les vêtements et sous leur haine de la vie : jamais tenu.
Toujours détesté, et détestant les corps des femmes, les enfants.
Ce monde n'est que viol, guerre et écorchement parce que :
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